La Bonne Âme du Se-Tchouan
de Bertolt Brecht
mise en scène Jean Bellorini
3h15, avec un entracte
avec Danielle Ajoret, Michalis Boliakis, Camille de la Guillonnière, François Deblock, Karyll Elgrichi, Claude Evrard, Jules Garreau, Jacques Hadjaje, Med Hondo, Blanche Leleu , Clara Mayer, Teddy Melis, Marie Perrin, Marc Plas, Geoffroy Rondeau , Hugo Sablic, Damien Zanoly, et les enfants : Léo Monème, Côme Malchiodi
Simple, drôle et terrible.
Tout doucement, sans bruit mais en musique, la compagnie Air de lune est devenue l’une des plus populaires de France. Jean Bellorini s’était déjà fait remarquer avec sa Tempête sous un crâne, une adaptation des Misérables pour sept comédiens et deux instrumentistes cosignée avec Camille de la Guillonnière. Deux ans plus tard, les deux complices récidivent avec Paroles gelées, d’après le Quart Livre, qui a valu à son metteur en scène le Prix de la Révélation Théâtrale 2012 décerné par le Syndicat de la critique. Après Hugo et Rabelais, comment s’attaquera-t-il à Brecht, quelles harmoniques grinçantes lui et ses dix-huit comédiens vont-ils en tirer ? «Il ne s’agit pas d’être actuel,» confie le metteur en scène, «il s’agit d’être contemporain». Contemporain comme le monde «où la dureté est une valeur qui se nourrit de tous nos égoïsmes».
Les tribulations de la vaillante Shen Té étaient faites pour attirer Bellorini, qui assume franchement son humanisme et son amour des formes populaires, l'essentiel selon lui étant que les artistes puissent s’expliquer directement, au présent, avec le public. Il a été attiré par une fable dont la dimension didactique, selon lui, «a tendance à s’effacer devant le poétique et le lyrique», mais sans disparaître tout à fait. Pour récompenser Shen Té, la prostituée au grand coeur, les dieux lui offrent de l'argent, mais sans aucun conseil sur la façon de l'employer. C'est qu'apparemment, tout en sachant déchiffrer la vertu cachée dans le cœur de l'homme, les Inspirés ne songent pas à en partager le secret avec nous : qu'un seul être soit bon, voilà un spectacle qui suffit à leur quête, mais ils ne se soucient pas pour autant de rendre meilleur le monde qu'ils ne visitent que pour quelques jours. Or l'humanité, elle, se débat dans un tel monde imparfait : elle n'en a pas d'autre, ni d'autre temps que celui où elle lutte pour sa survie. Comment sortir de la misère quand l'homme est un loup pour l'homme ? Peut-on préparer l'avenir sans rester sourd à l'urgence du malheur présent ? Brecht pose des questions comme on lance des appels. Entre mélodies de rêve et rumeurs de réalité, Bellorini nous promet un spectacle à la hauteur de telles interrogations : «simple, drôle, et aussi terrible», conduit sur un rythme de bal, dans un esprit de fanfare... et en présence d'un pianiste fou.