Gertrude (Le Cri)

de HOWARD BARKER
mise en scène GIORGIO BARBERIO CORSETTI
du 08 janvier 2009 au 08 février 2009
Théâtre de l'Odéon



avec Anne Alvaro, John Arnold, Francine Bergé, Cécile Bournay, Jean-Charles Clichet, Luc-Antoine Diquéro, Christophe Maltot, et Julien Lambert, Baptiste Vay.

RAGUSA
J’aime la façon dont vous dites ce que vous pensez d’où je viens personne ne dit ce qu’il pense tout le monde est poli bien sûr les sentiments sont les mêmes mais oh ! on tourne autour du pot c’est un vrai labyrinthe pas une conversation.
Howard Barker

Gertrude (Le Cri) : double titre qui superpose le nom d’un être et la forme d’une voix, l’évidence singulière d’un visage et un phénomène en quelque sorte impersonnel. La pièce organise et relate leur rencontre. Le visage est presque familier pour les amateurs de théâtre : celui de la mère de Hamlet, veuve de son père, épouse de Claudius. Une femme qui dans l’original shakespearien se définit par rapport aux hommes qui l’environnent. Mais Barker, pour inventer sa Gertrude, rompt toutes ces amarres. Comme le dit Giorgio Barberio Corsetti, «Gertrude squatte Hamlet». C’est d’ailleurs ce qui a séduit d’emblée le metteur en scène italien. Depuis ses débuts en 1976, Corsetti s’est toujours intéressé à ce qui conteste une certaine théâtralité, soit sur ses frontières, soit de l’intérieur. Avant de puiser aujourd’hui dans les ressources du cirque, il a été l’un des premiers à introduire le matériau vidéo sur scène (La Camera astratta, qui date de 1987, est à cet égard emblématique). Curieux de toutes les formes d’écriture non dramatique, lui-même adaptateur (son Procès, d’après Kafka, a été distingué par le prix UBU en 1999), il est naturellement sensible aux problèmes que soulève l’adaptation ou l’appropriation d’un texte. Le geste de Barker, sa vision de Gertrude ne pouvaient que le passionner. Or chez Shakespeare, déjà, la reine est un personnage énigmatique : comment est-il concevable, se demande Hamlet, que la veuve d’un aussi glorieux souverain ait pu se remarier aussi vite avec son double ignoble et répugnant ? Faut-il conclure de ces noces hâtives qu’elle aurait contribué au meurtre de son premier époux ? Ces questions, Barker y répond d’entrée de jeu, comme pour déblayer le terrain : oui, Gertrude a été l’amante de Claudius ; oui, elle a voulu le crime, elle y a assisté, elle a donné à voir au roi agonisant sa jouissance adultère, tirant de cet ultime outrage un surcroît de plaisir. La Gertrude nouvelle serait donc une figure lisible de part en part, aux antipodes de son modèle ? Au contraire. C’est justement en jetant le masque de la «mystérieuse » Gertrude shakespearienne que le personnage de Barker accède à son énigme propre. À son cri. Et ce signe vide de l’extase ou de l’horreur va désormais hanter tout Elseneur. Exposant son corps pareil à un territoire pulsionnel, provocante et abandonnée, insaisissable, Gertrude est devenue à la faveur du cri le centre de la pièce autour duquel tout gravite. Tout, y compris elle-même. Et son secret n’est plus d’ordre contingent, il n’est plus quelque chose que le public ignore parce que le dramaturge l’aurait dissimulé. Gertrude elle-même doit l’explorer, elle qui ne cache rien. Car il est désormais quelque chose qui échappe radicalement aux prises du savoir, même si par hypothèse on savait tout.

 

à lire Gertrude (Le Cri), Œuvres choisies, vol. 4, éditions Théâtrales, coll. Scènes étrangères, 2003