Édito 2019-2020
La nouvelle saison du Théâtre de l’Europe poursuit le désir de croiser les générations et d’ouvrir l’Odéon à de nouveaux artistes.
Aux côtés des grands noms de la mise en scène européenne (Katie Mitchell, Falk Richter, Ivo van Hove et, pour la première fois à l’Odéon, Stanislas Nordey), on retrouve des artistes désormais familiers (Christiane Jatahy, Guillaume Vincent, Christophe Honoré) et aussi beaucoup de nouveaux visages: Julie Deliquet, Julie Duclos, Tiphaine Raffier et Galin Stoev.
Il est beaucoup question de frontières et d’identités dans leurs créations.
De ces frontières que beaucoup voudraient voir renaître en Europe pour nous protéger d’on ne sait quelle menace extérieure, et dont I am Europe, le spectacle d’ouverture de Falk Richter, se fait notamment l’écho.
De ces frontières par delà lesquelles des populations entières sont jetées, fuyant la guerre et la violence, et dont Christiane Jatahy, l’une de nos artistes associés, témoigne dans son deuxième volet de Notre Odyssée, entre document et fiction.
Mais aussi de ces frontières du genre et des identités assignées auxquelles on voudrait parfois échapper, et qui font du théâtre un lieu privilégié d’exploration des ailleurs.
Car s’il est une mission du théâtre – et tout particulièrement du Théâtre de l’Europe – c’est bien celle de briser les frontières, et d’ouvrir par l’imagination des horizons qui nous sortent des cadres, des vies bien normées et toutes tracées, de l’enfer mental où la pression sociale ou familiale peut nous enfermer.
La fantaisie transgenre de Virginia Woolf; l’expérience inattendue du trouble chez les amoureux de Marivaux ; ces “sorties de route” qui produisent d’improbables rencontres chez Arne Lygre, et ces ruptures de vie que suggère Marie NDiaye ; les désirs inassouvis qui tiennent en vie les personnages de Tchekhov et de Tennessee Williams, ou cette recherche désespérée de la joie dans l’univers confiné de Maeterlinck ; le salut par l’imagination dans les Mille et Une Nuits réécrites par Guillaume Vincent, ou le recours au surnaturel et à la science-fiction pour raconter notre monde, chez Tiphaine Raffier ; ou encore la vitalité paradoxale des artistes malades du sida dont Christophe Honoré a fait ses Idoles –
ces chemins sans balises ne sont pas tous lumineux, ni sans risque pour les personnages et les artistes qui les empruntent, mais ils disent la nécessité de ne pas se résigner au monde tel qu’il est, de se confronter à lui, et portent la conviction que l’énergie de l’art est indispensable à nos vies.
Stéphane Braunschweig
Les Idoles
Les deux dernières décennies du XXe siècle resteront dans l’Histoire comme “les années sida”. La génération à laquelle appartient Christophe Honoré fut la première à parvenir à l’âge adulte en étant pleinement consciente de cette menace. Honoré a eu vingt ans en 1990, l’année de la mort du cinéaste Jacques Demy. Bernard-Marie Koltès avait succombé un an plus tôt ; un an plus tard, Hervé Guibert était emporté à son tour. Cyril Collard s’apprêtait à tourner Les Nuits fauves, sorti en 1992 – tandis que disparaissait le “cinéfils” Serge Daney, trois ans avant la mort de Jean-Luc Lagarce... Honoré n’aura jamais rencontré ses six idoles. Depuis, il est lui-même devenu écrivain, cinéaste, metteur en scène. Pour donner corps à ses modèles, il s’est replongé dans leurs œuvres, dans les archives de l’époque, dans ses propres souvenirs. Puis il a laissé les matériaux et ses premières esquisses de textes subir l’épreuve du plateau, au cours d’improvisations collectives qu’il a fixées peu à peu, en compagnie de comédiens habitués à sa façon de procéder. Le résultat, comique et poignant, déborde d’intelligence et de joie de vivre. À travers six manières singulières d’affronter le désir et la mort en face, Honoré voulait revenir aux “jours sinistres et terrifiants” de sa jeunesse et créer “un spectacle pour répondre à la question: Comment danse-t-on après ?”. Honoré a trouvé sa réponse – et celle du public, enthousiaste, imposait une reprise.
Les Idoles
Légende : Marina Foïs, Youssouf Abi-Ayad et Marlène Saldana
Les Idoles_Christophe Honoré © Jean-Louis Fernandez (photo libre de droits)
Légende : Jean-Charles Clichet, Harrison Arévalo
Les Idoles_Christophe Honoré © Jean-Louis Fernandez (photo libre de droits)
© Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez
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La dépression a-t-elle un genre ?
À l’occasion de la mise en scène à l’Odéon de la pièce de Tennessee Williams, La Ménagerie de verre, par Ivo van Hove avec Isabelle Huppert, le débat portera sur des questions liées à la dépression : les dépressions sont-elles genrées ?
Croiseront leurs approches Fanny Chevalier, psychanalyse, Élisabeth Angel-Perez, études théâtrales, Marie Rose Moro, de la Maison de Solenn, Hôpital Cochin.
Débat organisé et animé par Frédéric Regard et Anne Tomiche, Philomel (groupe interdisciplinaire d'études sur le genre de Sorbonne Université).
© Jan Versweyveld
Thèmes
Ateliers philosophiques participatifs pour les enfants à partir de 8 ans.
En écho aux thématiques abordées par les pièces de l’Odéon et en vue de proposer un véritable parcours philosophiques aux enfants, Les petits Platons vous accueillent un samedi par mois à 15h au salon Roger Blin pour réfléchir sur les grandes notions philosophiques telles que le temps, le beau, l’amour, le bien et le mal, l’imagination et l’égalité.