La vérité finit toujours par être inconnue.
Victor Hugo
Choisissez un texte éloquent, haletant, l’un des joyaux du Théâtre en liberté de Victor Hugo : quatre actes d’un drame en prose situé dans le Paris de la Restauration, et qui est un peu le cousin théâtral des Misérables, avec l’inénarrable Glapieu faisant office de Jean Valjean. Détaillez amoureusement les personnages : le repris de justice au grand coeur, pourchassé par la police, qui se jette juste à temps chez la belle Cyprienne ; la mère de celle-ci, Etiennette, qui n’a jamais pu oublier l’amour de sa vie, perdu dans les guerres napoléoniennes, et prend soin comme elle peut de son vieux père malade ; Edgar Marc, employé modèle, qui vient rendre visite à sa tendre fiancée à l’instant même où les huissiers viennent saisir le mobilier de la petite famille ; le démoniaque Rousseline, prêt à toutes les infamies – mais toujours dans le strict cadre de la loi, rien que la loi ! – pour parvenir à ses fins, et qui contraindrait Cyprienne à lui sacrifier son bien-aimé, si la Providence n’avait pas caché ce bon Glapieu derrière un rideau… Épluchez avec soin la folle cascade d’incidents, puis détachez-en les thèmes qui n’ont rien perdu de leur sinistre actualité : la pauvreté aux abois, la brutalité de certaines mécaniques sociales, une soif inextinguible d’humanité et de justice. Saupoudrez de verve hugolienne un joli portrait de viveur blasé : le jeune et noble M. de Pontresme, qui ne songe qu’aux plaisirs de la table et du jeu, et que la nouvelle de sa nomination à de hautes fonctions judiciaires laisse plus consterné que n’aurait fait l’annonce de sa ruine. Prenez une bande de comédiens chevronnés ; confiez-leur la quasi orpheline sans défense, le monstre qui la convoite, le jeune premier prêt par amour à risquer le suicide (au moral comme au physique), et enfin le sublime redresseur de torts, ange gardien ou bouc émissaire qui finira par faire triompher la justice, même si «la vérité finit toujours par être inconnue». N’ayez garde d’oublier, bien entendu, celui dont il ne faut pas trop parler, puisqu’en cet homme vont se croiser puis se dénouer tous les fils de l’intrigue : le mystérieux baron de Puencarral. Soudez l’équipe autour d’un metteur en scène qui a le goût du conte, le sens du rythme, l’amour du spectacle et ce qu’il faut d’humour pour enlever sur les chapeaux de roue cette incroyable et sombre histoire. Dressez le tout dans des décors où se découpent en ombres chinoises les figurants du drame, et laissez mijoter une soirée devant le public : voilà Mille francs de récompense – tout simplement un grand spectacle populaire, comme sait si bien les réussir Laurent Pelly.
à lire Le Théâtre en liberté de Victor Hugo, éd. Arnaud Laster, Gallimard (coll. Folio), 2002