Genesi, from the museum of sleep
de Societas Raffaello Sanzio / Romeo Castellucci
du 19 octobre 2000 au 25 octobre 2000
Théâtre de l'Odéon
avec Michele Altana, Maria Luisa Cantarelli, Ndiaga Diop, Renzo Mion, Vadim Petchinski, Franco Pistoni et Teodora, Demetrio, Agata, Cosma, Sebastiano, Eva.
Entre Genesi, qui a tourné dans le monde entier, et la création en mai 2000 du Combattimento, la Societas Raffaelo Sanzio a été distinguée par le septième Prix Europe - Nouvelles Réalités Théâtrales, décerné à Taormina par l'Union des Théâtres de l'Europe. L'Odéon accueille leur travail à Paris pour la première fois. Le théâtre de la Societas va droit à l'essentiel. Sans rien supposer d'avance, et surtout pas la " normalité ", il sait déchiffrer le chaos qui gronde dans la naissance des formes, l'écho de rumeurs utérines dans la musique la plus savante. Si texte il y a, il s'agit souvent des plus grands, de ceux qui inaugurent un monde, qui résument ou affectent toute une culture : Gilgamesh, L'Orestie ou Hamlet. La Societas les jette au creuset du plateau comme autant d'éléments chimiques destinés à réagir sur les corps, bien au-delà de la simple " relecture " d'une tradition. Avec Combattimento, sa dernière création, Castellucci poursuit sa recherche fascinée sur les prestiges de la voix, en remontant auprès de la source d'où jaillit l'opéra occidental. Entre la pure ivresse lyrique et l'invention d'un mode musical de narration dramatique, les madrigaux de Monteverdi offrent à la jeune compagnie italienne un extraordinaire terrain d'expérimentation théâtrale. Dans ce spectacle où alternent rigoureusement les chants de la Renaissance et leur réinterprétation en léger différé par les ordinateurs de Scott Gibbons, l'affrontement guerrier des sexes, des religions, des époques, conduit à une exploration vertigineuse et clinique dépouillant peu Ì peu la scène de ses voiles, tandis que d'étranges semblants d'expériences font vaciller les frontières entre rituel d'église et protocole compassionnel, entre pathologie et simple beauté.
Contrairement à un malentendu fréquent, le travail de la Societas ne recherche pas la provocation. Ce théâtre provoque tout autre chose, et sa violence, incontestable, est d'un autre ordre. Quand Castellucci s'inspire de la Bible pour composer le triptyque de Genesi, il cherche d'abord à y retrouver les éléments d'un poème où il est question, pour notre siècle, des liens obscurs et parfois atroces entre une création et sa fin, entre les limbes que hante encore le songe informe de l'avenir et l'horreur impensable d'un monde qui vit Auschwitz - horreur qui est un fait, et qui devait déjà flotter dès l'origine dans " la terreur de la pure possibilité ". Ce théâtre-là ne préjuge donc même pas de ce qu'est l'humain, mais le traque à ses frontières et à ses racines, du côté de l'inorganique, du mécanique, de l'animal. On y voit l'éclat du radium annoncer un temps qui voudra " pénétrer toujours plus avant dans le noyau des choses jusqu'à qu'il se brise ". On y entend des machines grincer et s'affoler en singeant les gestes de l'homme avant même sa venue au monde. Quelques chiens errent sur le plateau comme sur une lande, tandis que Caïn, inventant la mort, creuse un vide définitif dès les commencements de l'histoire. Quelques enfants donnent à voir, dans une conjonction effroyable, le comble de l'innocence et de l'abomination. Tout Genesi montre ainsi au travail l'énergie secrète du néant, lovée au plus profond de l'existence.