El Pelele
de JEAN-CHRISTOPHE BAILLY
mise en scène GEORGES LAVAUDANT
du 16 mai 2003 au 07 juin 2003
Berthier grande salle
avec : Bouzid Allam (Chiquito), Gilles Arbona, Hervé Briaux, François Caron, Yann Collette (El Pelele), Lynda Devanneaux (Maria), Babacar M'baye Fall, Alban Guyon (Churrito), Roch Leibovici (Luis), Philippe Morier-Genoud (Orion), Nathalie Nell (Maria), Charlie Nelson, Sylvie Orcier (Dolorès), Delphine Salkin, Marie-Paule Trystram (La Choreute), ...
El Pelele, c'est le nom d'un pantin que, dans un carton de tapisserie de Goya, des femmes font sauter sur une toile tendue. Là, dans la pièce, il retombe : en Espagne et de nos jours, et il est devenu un simple jeune homme un peu étrange qui, après avoir longtemps guidé dans la montagne un géant aveugle, revient chez les hommes. Le géant lui a donné deux jours de congé, il descend donc une vallée et la pièce raconte, tableau après tableau, les étapes de son retour. Entre les tableaux, l'action est commentée par une sorte de chœur placé de côté. Voilà pour la structure, et elle est très simple. Cela dit, n'importe quoi peut entrer dans une telle narration ; or ce personnage vient de Goya, et c'est plus qu'un pays, c'est une tonalité, un accent qui se pose sur toute chose, les couleurs d'un feu éteint, celles des cendres. La référence à Goya ne joue pas dans la pièce le rôle d'une base d'images, mais celle d'une clé musicale : un climat qui s'assombrit, plein d'électricité statique et de tremblements. Celui des éclairs de chaleur avant l'orage, celui d'une tornade au loin.
Dans le monde où il descend, le Pelele rencontre des hommes et des femmes. Au début ce sont des êtres étranges (des sortes d'hommes-oiseaux, des porte-lanternes), puis ce sont des gens, les habitants de cette vallée. Le violent pli fantastique du commencement est contrebalancé par l'arrivée du réel, qui arrive comme il peut : des pêcheurs au bord d'un torrent, un douanier, un député, un marchand, un gitan, des filles. L'espace de ces deux jours est un raccourci, qui empile les situations : une fête avec son bal, le cinéma, le théâtre, un interrogatoire, des rencontres furtives, une histoire d'amour, des récits. On passe d'une situation à l'autre sans transition et tout peut être très rapide ou très lent, le nombre des personnages est élevé (plus d'une trentaine) : par conséquent ce que l'on traverse, ce sont des éclats, des éclaboussures, un monde qui se souvient d'avoir été bariolé, qui navigue dans une nostalgie nerveuse qu'il ne comprend pas. Le cheminement du Pelele coud ces éclats ensemble. On peut dire que son voyage (ou son congé) a quelque chose du voyage initiatique, mais aucune autre révélation ne l'attend que celle de cette humanité fébrile et fatiguée à laquelle il avait cru pouvoir échapper et qui, il le comprendra à la fin, se referme sur lui. Le géant, qu'il finit par retrouver, et qui était comme l'ombre des anciens dieux, repartira sans lui.
A quoi ça ressemble ? A un conte ? Oui, sans doute. Celui d'une impossible évasion, dans une bande-son de musiques lointaines et de chiens qui aboient. Je ne m'en suis rendu compte qu'après l'avoir écrite, et certains ont fait d'eux-mêmes le rapprochement : cette histoire ressemble à celle de Pinocchio. Par sa structure, mais aussi par l'équilibre qui y est cherché entre quelque chose qui appartiendrait à l'ordre de la fantasmagorie et, au contraire, quelque chose qui tiendrait de ce qu'on appelle la chute dans le réel.
Mais surtout, pour moi, puisqu'il s'agit d'une pièce de théâtre, voulue et pariée comme telle, le but aura été de créer une sorte d'escalier de situations propres à entraîner le théâtre vers ses limites, à commencer par la plus lancinante, qui est celle de sa capacité, non à mimer le réel, mais à le toucher, à l'atteindre : comme quand l'on touche, enfant, à des matières : le corps chaud et frémissant d'un animal, le toit d'une voiture couvert de pluie, la terre profonde où l'on finira.
Dans cette pièce les mots flottent ou se rassemblent en formant des îles, on descend de la montagne puis l'on y retourne, ayant traversé les lumières de l'aube, du jour, du crépuscule et de la nuit. A la fin vient une deuxième aube : on a visité les hommes, ceux d'une vallée, et la boucle se referme. Chaque scène est comme un plan-séquence, mais prise au sein d'une continuité où croît l'inquiétude.
Jean-Christophe Bailly
En partenariat avec l'Instituto Cervantes Paris