Il aura fallu plus de deux siècles, alors qu’en 2014 le président François Hollande suggérait son entrée au Panthéon, pour qu’on reconnaisse à Olympe de Gouges la dimension de pionnière de l’égalité des droits, elle qui rédigea en septembre 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mais elle n’est peut-être pas encore assez connue pour sa lutte contre l’esclavage.
Issue de la bourgeoisie aisée de Montauban, Olympe de Gouges arriva à Paris après la mort de son mari, et fréquenta aussitôt les salons littéraires. Elle commence alors à écrire, en particulier des pièces de théâtre, et monte sa propre troupe.
Indépendamment de son théâtre politique qui fut joué dans des théâtres privés à Paris et en province pendant la Révolution – comme L’Homme généreux, dénonçant « l’aspect déplorable du peuple » –, la pièce qui rendit célèbre Olympe de Gouges est L’esclavage des Noirs, ou l’heureux naufrage, qu’elle avait donné en lecture à la Comédie-Française en 1785 sous le titre de Zamore et Mirza, ou L’heureux naufrage.
La pièce narre l’histoire de l’esclave Zamore qui, après avoir tué l’intendant qui avait tenté de violer sa fiancée Mirza, subit les pires brimades. Le propos en est clair : dénoncer les conditions de vie faites aux esclaves dans les colonies. L’auteure espère éveiller la bienveillance de l’opinion publique sur « ces victimes de la cupidité ». Pour la première fois dans l’histoire du théâtre, elle choisit comme personnages principaux des esclaves noirs et multiplie dans sa pièce, tant au niveau des décors, des costumes, des maquillages que des figurants, les notes qui donnent une véritable couleur locale à la représentation.
La pièce n’a cependant été jouée sur la scène du nouveau théâtre des Comédiens Français (devenu Théâtre National en juillet 1789 − l’actuel Odéon) qu’en décembre 1789, il y a tout juste 230 ans, et ce malgré l’insistance de l’auteure auprès des comédiens, et les modifications et « adoucissements » qu’elle avait apportés au texte publié dans l’intervalle, enrichi d’une préface dénonçant clairement l’esclavage et prônant l’égalité entre tous les individus : « Réflexions sur les hommes nègres ».
Entretemps un mouvement d’opinion favorable à l’abolition de l’esclavage avait pris corps en France comme en Angleterre et la Société des Amis des Noirs avait vu le jour en 1788, à laquelle adhérèrent aussitôt Mirabeau, l’Abbé Grégoire et La Fayette.
La pièce d’Olympe de Gouges fut retirée de l’affiche au bout de sa troisième représentation, le 2 janvier 1790. Sans doute les comédiens grimés de noir n’ont-ils pas mis beaucoup de cœur à la défendre. Surtout, elle reçut une vive opposition de la part des nombreux spectateurs de la Comédie-Française intéressés au commerce triangulaire, qui louaient des loges à l’année et exigèrent le retrait de la pièce. Une brochure anonyme, « Lettre à madame de Gouges », la dénonça.
Olympe de Gouges s’en plaignit dans une Lettre aux représentants (de la jeune Assemblée nationale) : « Quoi ! La cabale de quelques colons et la tyrannie histrionique l’emporteront sur l’intérêt public, sur la plus lumineuse équité, et l’an premier de la Liberté se souillera d’une injustice que n’eussent produite ni l’ignorance ni la barbarie du régime féodal ? »
Olympe de Gouges s’engage résolument dans la Révolution, mais la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, proclamée en 1791, après tant de discussions, ne contient aucune avancée pour les droits accordés aux femmes. D’où la réplique que fait Olympe de Gouges avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Ce texte est augmenté d’une postface où elle rappelle la question des Noirs – autres exclus de la condition humaine – en raison du sort injuste qu’ils subissent, en raison aussi des troubles graves causés par les révoltes qui se multiplient alors dans les îles.
Le 22 juillet 1793, surlendemain de l’arrestation d’Olympe de Gouges, puis le jour même de sa condamnation à mort le 2 novembre de la même année, elle invoqua sa pièce De l'esclavage des Nègres pour preuve de son patriotisme et de son combat de toujours contre la tyrannie.
Le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies paraîtra finalement en 1794. L’esclavage sera rétabli par Bonaparte en 1802, avant d'être définitivement aboli en 1848.