Antigone
de SOPHOCLE
mise en scène JACQUES NICHET
du 14 mai 2004 au 12 juin 2004
Berthier grande salle
Créon et Eurydice Alain Fromager,
Un messager Alain Aithnard,
Ismène Millaray Lobos Garcia,
Le garde et Tirésias Mireille Mossé,
Antigone et Hémon Océane Mozas,
Choeur : Vincent Audat, Carlos Andreu, Maurice Deschamps, James Germain, Malik Richeux, Aly Wagué, Ben Zimet
En relisant Antigone, j'ai le plaisir de me perdre dans le labyrinthe d'une œuvre énigmatique. Les questions se multiplient, qui font corps avec la pièce.
Pourquoi Antigone se précipite-t-elle dans la mort, tête baissée ? Pourquoi Créon inaugure-t-il son règne en déclarant la guerre à un cadavre ? Pourquoi enferme-t-il vivante dans un trou la jeune rebelle alors qu'il laisse le corps de son frère exposé au soleil, à la merci des chiens ? Pourquoi le monarque connaît-il une déchéance aussi rapide que celle d'Oedipe et tout aussi cruelle ? Vers le soir, sa femme et son fils se seront suicidés et le roi d'un seul jour traînera, abandonné de tous, cadavre vivant.
Cette succession d'énigmes a été recouverte, à travers le temps, sous un amas de commentaires et d'interprétations. Antigone n'a pas cessé d'entraîner derrière elle d'autres Antigones : on a voulu voir sous cette figure une Jeanne d'Arc de l'Antiquité, une résistante de la dernière guerre, une martyre laïque de la liberté de conscience. Le mythe semble avoir fructifié aux dépens de la pièce. Il lui fait de l'ombre.
On ne peut sans doute pas séparer Antigone de Créon : ce sont deux figures qui se font face, se renforcent en s'opposant. Chacune est le miroir de l'autre et son repoussoir.
Nous chercherons, par la mise en scène, à mettre en mouvement et en lumière l'engrenage terrifiant dont Antigone et Créon sont à la fois les rouages et les victimes. Il ne s'agit donc pas de prendre parti facilement pour Antigone contre Créon ou de défendre, coûte que coûte, Créon face à Antigone.
Nous laisserons de côté cette querelle inutile pour porter notre attention sur la machine qui relie et broie énigmatiquement Antigone et Créon, et derrière eux Hémon et Eurydice. On se rappelle que, dans l'Antiquité, un petit nombre d'acteurs se partageait les rôles. Sans chercher à revenir à une illusoire reconstitution d'un rituel, nous avons proposé à Océane Mozas de jouer Antigone et Hémon, à Alain Fromager Créon et Eurydice, car les rouages de cette « machine infernale » semblent se démultiplier. L'identité personnelle est comme balayée par le destin.
Dans le tourniquet de la tragédie, les mêmes mots, pris dans un sens, puis dans le sens contraire, tuent par ricochets. C'est vraiment le moment de remonter à l'énigme du texte : là où les figures et les mots se dédoublent, comme dans les oracles.
Jacques Nichet