C’est parti pour le premier stage de la 8e édition d’Adolescence et territoire(s) ! Pendant cinq demi-journées, les 30 jeunes se sont retrouvés à l’Espace 1789 de Saint Ouen, théâtre partenaire du projet. Pour cette première semaine de travail, la chorégraphe Marcela Santander est venue accompagner Mickaël dans son travail.
Nous avons demandé à deux jeunes du groupe de nous raconter, à leur manière, leurs premières impressions suite au stage.
Fanni, 16 ans, Saint-Ouen.
“Confiance c'est par rapport à l'exercice qu'on a fait où il fallait fermer les yeux, se taire et se laisser guider par l'autre. Tout le long de l'exercice je me suis dit que ça reposait sur la confiance, une fois que tu as confiance, tu te laisses guider dans ce qu'il.elle te fait faire.”
“Danse c'est parce que l’on fait beaucoup d'exercice liés au mouvement, au positionnement, à l'expression du corps, du coup j'avais envie de dessiner ça”.
Et Groupe, c'est parce que on est énormément, trente, c'est du jamais vu pour Adolescence et Territoire et on ne se ressemble pas tous. On est nombreux et différents, mais pourtant on arrive à travailler tous ensemble.“
Diariou, 16 ans, Gennevilliers.
“Je me suis inspiré d’un visage réel pour créer un personnage avec une multitude de couleurs pour un rendu contemporain.”
Entretien avec Mickaël Phelippeau, le samedi 4 janvier 2019 à l’Espace 1789 réalisé par Ketchup Mayonnaise
Comment es-tu arrivé dans le projet Adolescence et territoire(s) ?
J’ai commencé la danse tardivement, et je ne savais pas alors que ça allait devenir mon métier. J’essayais de rattraper le “temps perdu” en prenant plusieurs cours par jour en parallèle de mes études. Puis j’ai fait une formation au Centre chorégraphique national de Montpellier, alors que je me préparais à entamer une thèse. À la suite de cette formation on m’a proposé d’être interprète dans trois créations, ce qui représentait une année de travail, et depuis je ne me suis jamais arrêté. J’ai travaillé en tant que danseur pour des chorégraphes en France et en Europe. Je faisais également partie d’un collectif, Le Clubdes5, c’était une sorte de laboratoire où nous partagions nos expériences en tant que danseur.se.s. On revendiquait pleinement le fait d’être un collectif d’interprètes. C’est une expérience qui a été importante pour moi, dans la mesure où on a travaillé ensemble pendant sept ans et on a expérimenté et développé tout un endroit de travail qui m’a permis de me trouver. La première pièce que j’ai créée ou plutôt la première que je revendique encore aujourd’hui est un duo que j’interprète avec Jean-Yves Robert, curé. Ce duo est important car il a déclenché tout ce qui a suivi. Alors qu’il me semblait être à l’opposé de moi, tant dans son parcours que dans ses convictions, ce monsieur faisait des spectacles toutes les semaines, les samedis soir et les dimanche matin, lors des messes. Nous sommes partis d’une question simple : “Qu’est ce qui nous différencie ou nous relie dans notre rapport à la représentation ?”. Dans ce duo, Jean-Yves était présent sur le plateau en tant que lui-même, et j’ai pris conscience, a posteriori, que c’est en parlant de ce qui est le plus intime, qu’on parle de son rapport au monde, de ce qui nous dépasse. J’ai ensuite créé des pièces assez différentes mais dont le point commun est que les personnes qui sont sur le plateau sont là pour défendre une parole personnelle, pour parler depuis leur point de vue et pour assumer cette parole. Elles ne sont pas là pour jouer un rôle ni pour être dans une abstraction, quand bien même cette dimension peut exister.
Par exemple ici, à l’Espace 1789, on a présenté deux pièces, qui sont plutôt des portraits de groupes, le premier qui s’appelle Chorus, composé de vingt-quatre chanteur.se.s, et le second Footballeuses, avec 10 femmes qui pratiquent le football. Pour ce dernier, nous sommes partis de la question suivante : “Est-ce qu’en France, aujourd’hui, c’est simple de faire du foot et d’être une femme ?”. Ce à quoi elles ont toutes répondu “NON !”. On a créé cette pièce il y a maintenant trois ans, en janvier 2017, on l’a présenté ici il y a deux ans. Les femmes prennent la parole à certains moments, des paroles individuelles où elles expliquent pourquoi elles ont été amenées à faire du football, ce qui est compliqué dans le fait d’être une femme et de pratiquer ce sport, et en parallèle il y a des moments où elles expriment collectivement leur plaisir de pratiquer le football.
Depuis septembre je suis associé à l’Espace 1789, et la directrice, Elsa Sarfati, m’a parlé du projet Adolescence et territoire(s), où le principe est de s’associer avec trois théâtres (l’Odéon, le T2G et l’Espace 1789), et avec des ados de ces trois territoires (le 17ème, Saint-Ouen et Gennevilliers). Quand j’ai entendu parler de ce projet, j’ai tout de suite été très intéressé par le fait qu’il implique des jeunes aux profils et parcours très différents, je l’imaginais comme je le fais habituellement, c’est-à-dire partir de qui il.elle.s sont, je l’ai pensé comme un portrait collectif dont le seul point commun est la jeunesse.
Comment s’est passée cette première semaine de travail ?
La première semaine s’est bien passée, ce qui est intéressant et aussi vertigineux, pour les adolescent.e.s autant que pour Marcela et moi, c’est que lorsque nous sommes arrivés lundi matin, on leur a dit que nous ne savions pas du tout vers quoi nous allions. Ce qui est vrai. C’est une position qui est primordiale pour moi, c’est-à-dire de se laisser la possibilité de prendre le temps de se rencontrer, pour ensuite penser à ce que sera le projet. Cette semaine, nous n’avons fait qu’expérimenter différentes pistes, différents possibles. Nous avons essayé d’ouvrir, à partir d’outils qu’on développe avec Marcela, pleins d’endroits qui font appel à ce qu’il.elle.s ont envie de développer, de dire, d’exprimer voire de revendiquer. Pour l’instant c’est une sorte de vaste chantier, où certaines choses commencent à se dessiner. Mais on commencera à creuser le devenir de la pièce à partir de la séance prochaine pendant le stage de février.
Comment travaillez-vous avec Marcela Santander ? Comment vous répartissez-vous les rôles ?
Avec Marcela nous avons l’habitude de travailler ensemble. Les pièces dont je parlais, Chorus et Footballeuses, nous les avons créé ensemble. On a fait beaucoup de projets participatifs, donc il y a une certaine habitude dans notre manière de fonctionner. C’est spontané dans la mesure où on se laisse la possibilité d’aller à des endroits où, tout à coup, quelque chose se passe et on rebondit à partir de cette proposition. Mais nous avions quand même construit en amont la structure de la semaine. Par exemple l’échauffement, on se dit toujours qu’on fait des échauffements en “ping-pong”, l’un.e d’entre nous propose une chose et par effet ricochet l’autre rebondit et on mène ainsi l’échauffement collectivement.
Par rapport à cette semaine, je pense à cette question de la révolte, qui est revenue à plusieurs reprises. En fait, Marcela m'avait questionné sur ce que j’avais envie de développer avec les adolescent.e.s, mais j’avais envie de prendre le temps de voir ce que eux.elles souhaitent développer. Lors de cette discussion, également avec Hortense qui est la troisième personne avec laquelle on travaille, on s’est dit que ça serait intéressant de les entendre sur la question de la révolte, : “Qu’est ce qui les révolte aujourd’hui ?”. On les a enregistré, et on a été assez surpris, dans la mesure où il y avait une vraie conscience sociale, environnementale, politique, en parlant de Bolsonaro, de Trump par exemple, de ce qui les préoccupe aujourd’hui. Et c’est vrai que l’une d’entre eux.elles, a dit “moi j’ai pas envie d’être réduite à ce qui me révolte car c’est cliché” et ça a donné lieu à une autre discussion passionnante. Car quelque part je l’entendais, et en même temps ce que je lui ai répondu c’est que par ce type de question, c’est aussi une manière de se rencontrer, de savoir ce que chacun.e pense de ce gros bazar. Ce n’est pas rien de répondre en quelques minutes à cette énorme question. Mais ça a été un point de départ, et même si on ne gardera peut-être pas cet enregistrement, au moins ça a été une manière de savoir ce que chacun.e pense, comment chacun.e se positionne. Toute cette semaine a consisté à semer plein de petites pierres qui nous ont amené à créer un groupe. Aujourd’hui on a fait un dernier tour de parole, chacun.e a dit ce qu’il.elle retenait de cette semaine et ce qui est beaucoup revenu, c’est que certain.e.s ont la sensation d’avoir rencontré les autres et d'en être heureux.ses, quand bien même ce sont des personnalités très différentes. Il.elle.s ont soulevé le fait qu’il.elle.s n’auraient certainement jamais rencontré les autres dans un contexte autre, à cause de la différence d'âge, surtout à cette période de la vie, et aussi à cause des différentes origines sociales, des différents parcours, et de la diversité des territoires. À la fin de cette première semaine je suis assez satisfait voire heureux également, parce que je sens de la part de presque tou.te.s un désir de partager une expérience, et le groupe est là, et c’est peut-être le plus important.
Est-ce que tu peux nous parler des transmissions ?
Les transmissions sont des moments que j’ai beaucoup aimé. Chaque jour, j’ai proposé à un.e jeune de transmettre quelque chose. Ça permet de les entendre, de savoir ce qu’est une transmission pour eux.elles et comment chacun.e s’accapare l’acte de transmettre. Cette semaine ça a commencé par une chanson (Ta Reine, d’Angèle interprété par Kynza), elle a transmis ce chant qui lui était personnel, puis nous l’avons appris avec elle pour le chanter ensemble. Et chaque jour chacun.e a livré quelque chose de lui.d’elle, ce qu’il.elle aime et qui le.la définit pour une part. Ce matin, c’est Jil qui a essayé de nous transmettre l’accent québécois, lundi Sily a chanté devant nous tou.te.s un rap que lui-même a écrit. C’est une manière de leur donner la parole et de leur demander : “comment transmettez-vous ?”. C’était parfois plus ou moins réfléchi dans la manière d’amener cela, mais c’était aussi “comment je prends ce rôle de transmettre quelque chose”. C’était le but des transmissions, je ne sais pas si on gardera quoi que ce soit, mais il y avait des moments très beaux, touchants, parfois très drôles. C’est une manière de les responsabiliser aussi, de leur faire comprendre que ce projet est à eux.elles, qu’on est en train de le construire ensemble.
Par exemple la danse au ralenti, ce n’était pas une transmission ?
Non, la danse au ralenti c’est venu d’un exercice où il.elle.s travaillaient par petit groupe de cinq ou six personnes, sur ce que serait leur portrait de groupe. Ils devaient partir d’un élément qui les réunit, un point commun, un thème, une chose, où chacun.e peut s’exprimer individuellement mais au sein du collectif. Il.elle.s ont tou.te.s performé un portrait de groupe. Et dans l’un des portraits Lucie a, de manière très spontanée, entraîné le groupe à la suivre et à danser, comme dans une boîte de nuit ou une soirée. Et c’était un moment à la fois assez joyeux et assez émouvant. Tout le monde s’est levé et a dansé sur une musique d’un groupe qui s’appelle Salut c’est cool, que je ne connaissais pas. Tout à coup ce moment extrêmement joyeux et plein de vie, il fallait absolument qu’on le re-convoque, me suis-je dit. Et puis en parallèle, ce même jour il y avait eu ces paroles sur ce qui les révolte. Et le lendemain je suis arrivé avec un montage de leurs paroles sur Salut c’est cool en fond sonore, et je leur ai demandé de retraverser la danse mais en essayant de ne pas en perturber l'écoute. Donc je leur ai proposé de ralentir cette danse de soirée, cette danse sociale en parallèle de leur prise de parole. Il y a quelque chose que j’aime bien là dedans, c’est assez contradictoire, c’est une sorte de frottement entre quelque chose de très vibrant, cette danse, qui est ralentie, et ces paroles qui parfois sont, très matures, avec de vraies réflexions sur ce qui les entoure et puis parfois des prises de parole plus personnelles. Et j’aime bien cet endroit, c’est un collage un peu improbable qui, en même temps, permet d’écouter ce qui se dit. Je leur ai demandé de vraiment écouter ce qu’il.elle.s sont en train de dire via l’enregistrement quand il.elle.s dansent, et ça a posé plus ou moins de question à certain.es d’entre eux.elles. Donc c’est à la fois venu d’eux.elles puis ensuite on l’a transformé, c’est né de leur proposition mais avec une distorsion, un étirement.
Sur le travail qui a été fait cette semaine, est-ce-que tu penses qu’il y a des choses que vous allez conserver pour le spectacle ?
Pour l’instant je ne sais pas, j’ai envie de laisser les choses ouvertes. Il y a un aspect auquel je pense, qui n’a pas forcément à voir avec la question. Quand j’ai su qu’on allait faire ce projet avec Marcela, Hortense et Abigail, je suis allé voir le travail que Marie Piemontese avait fait avec les adolescent.e.s la saison dernière. Au delà de la proposition, qui était très exigeante, ce qui m’a le plus touché, et vraiment intéressé, c’est l’engagement des adolescent.e.s dans cette proposition. Il.elle.s étaient à 200%. Ce jour-là je me suis dit “je suis sûr que c’est un pied monstrueux de travailler avec ces adolescent.e.s”, même si évidemment ce ne sont pas les mêmes. L’aventure générée par la rencontre entre les trois théâtres, et le travail assez dingue des équipes, font qu’on a “juste” à venir travailler avec des adolescent.e.s qui ont du désir. Et ça c’est assez unique. J’ai l’impression qu’on a pas eu grand chose à faire, en fait. Alors en effet, le but de cette semaine c'était vraiment de les rencontrer, de fédérer un groupe, mais il.elle.s l’ont fait malgré nous, même si on y a aussi contribué. Il y a tellement de désir de leur part, que j’ai l’impression que 90% du travail est déjà là, dans la mesure où tout le monde est dans un élan vers les autres, que ce soit les équipes, les adolescent.e.s, nous. Et pour répondre à la question initiale, peut-être que nous allons conserver cette danse au ralenti, mais en même temps dans les choses qui leur ont moyennement parlé, certain.e.s ont justement évoqué la danse au ralenti. Je me dis qu’il y a peut-être un truc à lâcher de mon côté. Ou à creuser ? Hier, Fanni m’a beaucoup touché, car c’était la première à râler quand on devait refaire cette fameuse danse, et hier ce qui était très beau, c’est qu’on l’a fait à l’extérieur, pour l’éventuel visuel du projet, et elle m’a hypnotisé, je l’ai beaucoup regardée, et je la sentais habitée. Est-ce que c’est le fait d’être à l’extérieur ? C’est possible. Après je lui ai dit “tu te rends comptes que tu ne l’avais jamais investi comme ça, c'était très beau de te voir dans cet état, d’autant que tu étais peut-être une des plus réticentes à cette danse”. Et elle m’a répondu qu’en effet, elle avait même pris du plaisir à interpréter cette danse. Donc je me dis qu’il faut peut-être un peu plus insister pour que chacun.e trouve son chemin et y prenne du plaisir. C’est tellement rare de prendre du plaisir, dans le travail, dans la vie... Et c’est aussi à partir du moment où on va commencer à écrire des choses, à les répéter, que ça va faire sens pour eux.elles. Donc possiblement cette danse au ralenti existera-t-elle, avec ou sans leur paroles.
Un autre truc que j’aime bien et qu’on a essayé aujourd’hui, c’est comment ça dégouline dans le public, avec une espèce de traversée constante dans le gradin où il.elle.s reviennent inlassablement sur le plateau puis en repartent. J’aime bien que ça “dégouline”, c’est le terme, que ça vienne s’inscrire au-delà et en dehors du plateau. J’aimerais bien creuser cette piste là avec eux.elles.
Aussi, pas forcément quelque chose qu’on va garder dans la pièce, mais on va continuer les transmissions, parce que ce sont des moments où tout à coup, un individu prend en charge un moment, et je pense que c’est important de leur laisser le temps que chacun.e ait la possibilité d’arriver avec son bagage et de proposer quelque chose qui lui est propre.
Que prévois-tu pour le prochain stage en février ? Quelles seront les prochaines étapes pour arriver à la première représentation au mois de mai ?
Je ne sais pas et ça me plait. J’ai l’impression qu’on les a amené à proposer des choses, ce que l’on pourrait un peu plus creuser. Et ce qu’on n’a touché que du bout des doigts, c’est vraiment ce qu’ils ont envie de dire aujourd’hui. On l’a évoqué, on en a parlé, mais on n’a jamais vraiment pris le temps, sincèrement, de savoir ce que eux.elles ont envie de dire. Et je souhaite vraiment que ça leur ressemble. Pour l’instant, oui, il y a quelque chose de très singulier dans le travail, mais il faut qu’on arrive en février prochain, avec des outils qui les amènent à ça. On va essayer de creuser un peu plus tout ça, l’endroit du portrait. Ce qui est intéressant dans cette notion de portrait, même dans l’histoire de l’art ou dans la peinture, c’est que c’est toujours le regard porté sur quelqu'un ou sur un groupe, ou sur un temps, sur un moment historique. Ce que j’aimerais vraiment qu’on arrive à faire avec eux.elles, c’est que ça soit véritablement leur portrait, qu’on arrive presque à signer 50/50, que ça vienne autant d’eux.elles que de nous, ce qui est récurrent dans mon travail. C’est un enjeux qui sera peut-être celui de la prochaine séance de travail.