Coup de feu et début de la 11ème édition d’Adolescence et territoire(s) !
Après un premier atelier qui a permis au groupe de faire connaissance le samedi 10 décembre 2022 au T2G, le travail s’est poursuivi lors d’un stage à l’Espace 1789 du 19 au 23 décembre 2022. Les dix-sept adolescents ont pu continuer leur réappropriation de l’histoire d’Antigone avec Tamara Al Saadi et Camille Davin.
Afin de rendre compte de cette semaine écoulée, nous avons demandé à trois d’entre eux de raconter à leur manière ces cinq jours de travail intense.
Raphaël, Louann et Corine ont souhaité témoigner.
Nous avons également retranscrit l’interview de Tamara Al Saadi réalisée par Ketchup Mayonnaise lors du tournage du premier épisode du web-documentaire.
Louann, 15 ans, Asnières-sur-Seine
« Personnellement j’ai commencé ce stage avec l’à priori que je ne m’amuserai peut-être pas, et que ce stage serait bien plus porté sur le « professionnalisme » que sur une certaine alchimie entre tout le monde (chose qui nous avait pourtant déjà été expliquée durant les sélections). Durant la semaine, nous avons fait de nombreux exercices et le parcours du spectateur sera à mon sens très intéressant à suivre, il a d’ailleurs très bien commencé avec La Ménagerie de verre qu’on a pu voir à l’Odéon.
J’ai trouvé très intéressant le fait que Tamara soit là pour nous aider à faire évoluer nos improvisations ou même notre jeu personnel. Le sujet d’Antigone que nous abordons pendant cette semaine me plaît beaucoup et nous fait travailler sur des sujets à mes yeux très intéressants.
Les différents exercices proposés ont permis de découvrir une nouvelle partie du théâtre dans la convivialité. Mon texte à l’audition traitait du sujet de l’avenir et j’ai l’impression d’être en plein dedans. »
Corine, 16 ans, Paris
Corine a réalisé quelques photos durant cette semaine et nous en fait part.
Première interprétation d'Antigone "A l'écoute"
Les magiciennes Tamara et Camille Création collective
Pic de créativité
Raphaël, 15 ans, Paris
Raphaël a choisi de faire un montage photo résumant la semaine de travail et nous le partage.
Entretien avec Tamara Al Saadi réalisé par Ketchup Mayonnaise le 21 décembre 2022
KM : Comment as-tu entendu parler d’Adolescence & territoire(s) ?
Ça fait longtemps que j'entends parler de ce dispositif parce que, avec ma collaboratrice Mayya Sanbar, nous avons construit notre compagnie sur l'action artistique. Par conséquent, nous nous sommes renseignées sur ce qui ce qui se faisait en Ile-de-France et nous avons découvert ce programme. J’étais intriguée par le projet et Elsa Sarfati, la directrice de l’Espace 1789, une structure où je suis artiste en résidence, m’a proposé de diriger le dispositif. J’étais hyper contente !
KM : Est-ce-que tu peux nous parler de ton parcours artistique ?
Alors j'ai un parcours qui est un peu hybride. J'ai fait des études de sciences politiques et en même temps des études de théâtre, j’ai une formation de comédienne. En fait, ces deux formations se sont tressées, ça m’a permis d'écrire et de mettre en scène. Ce que je fais maintenant, c'est vraiment le miroir de la rencontre de ces disciplines. Ça m’a donc mené à construire des choses autour de ce thème, ce concept dont on a beaucoup parlé qui est l'autofiction, où on mobilise la matière intime pour raconter des histoires. De mon côté, j'amène une dimension qui est souvent sociologique. En tous cas, je mobilise des outils de recherche en sciences sociales pour pouvoir construire un récit.
KM : Comment s'est passé le premier contact avec les jeunes ?
Alors le premier contact avec les jeunes s’est passé extrêmement bien. D’abord, il y a eu les auditions et j’ai voulu y amener un peu de joie et d'amusement, puisque ce contexte de sélection est extrêmement difficile pour des jeunes personnes qui n’y sont pas aguerries. Cet exercice est vraiment délicat. Il ne s'agissait pas d'être hypocrite avec la situation qui fait peur mais de trouver comment la rendre digeste. J'ai rencontré trois groupes et le choix était vraiment difficile parce que les trois moments d’audition étaient très intenses. Tous les candidats se sont beaucoup impliqués pour présenter quelque chose. On a ensuite constitué ce groupe et j'ai été extrêmement touchée par le niveau d'implication et d’enjeu que ça représentait pour eux. On sent chez eux comme une envie qui est vibrante et qui pétille, qu’on retrouve parfois moins chez des acteurs aguerris puisque finalement c'est notre métier, on est payés pour faire ça. Chez ces ados, dans leur énergie, on sent qu’ils vivent un moment extraordinaire et c’est un cadeau pour nous, il faut l’honorer.
KM : As-tu déjà travaillé avec des adolescents par le passé ?
J'ai déjà travaillé avec des adolescents, j'ai mené beaucoup d’ateliers depuis sept ou huit ans. Ça fait des années que je suis aguerrie à l'exercice en collège et en lycée dans plein de régions de France, mais ces ateliers se déroulent souvent dans le cadre scolaire et c'est un exercice qui est légèrement différent parce qu’à l’école, les ados n’ont pas envie parfois. Il faut les ménager parce qu’on est parfois face à des jeunes qui n’ont pas la motivation. Il faut amener une forme de douceur et attiser la curiosité, ce qui demande beaucoup d’énergie, tandis que dans ce projet, c’est presque la situation inverse. Ils sont en flux tendu de joie, ils proposent plein de trucs donc ça glisse assez facilement. Ils sont très inspirants.
KM : Quelle est la différence entre travailler avec des comédiens professionnels et travailler avec des ados ?
En fait, il y a quand même beaucoup de points en commun, dans le sens où je regarde les ados avec les mêmes outils que j’utilise pour regarder un comédien professionnel. J’observe et cherche les mêmes choses. Bien sûr, je dois atteindre les ados à un endroit pédagogique pour leur transmettre les outils qui leur permettront de s’autonomiser en tant qu’acteurs et actrices. S'ils ont envie, ils pourront continuer à faire du théâtre mais ça leur sera aussi utile pour leur regard de spectateur. Donc c'est plus à l'endroit de la méthodologie que mon approche est différente, en revanche mes attentes restent les mêmes
KM : Comment s'est déroulée cette première semaine de stage ?
La première semaine avec les ados s'est très bien passée. D’abord, la première chose qui est assez intéressante, c'est qu’ils sont auditionnés dans le cadre de groupes, si bien qu’on rencontre des natures mais qu’on ne connaît pas les trajectoires. Au fur et à mesure des rencontres, je me suis par exemple aperçue que je suis face à un groupe de gens qui parlent énormément de langues, ce qui est quand même fou. De plus, on a vraiment rencontré des personnalités, des chemins, des constructions des mouvements différents. Ces ados sont des personnes en mouvement qui sont au début de leur vie mais qui ont déjà énormément de richesses et un rapport au monde qui est très construit. Je suis étonnée par le fait d’avoir un groupe aussi hétéroclite et varié culturellement malgré le jeune âge de ces ados. Ils ont tous un point commun, c’est qu’ils aiment fondamentalement le théâtre, mais d'une façon sensible. Ils ont un rapport au théâtre qui est très organique, comme on aime manger quelque chose. C'est génial, il y a quelque chose qui est très pétillant, très électrique. Ainsi, c'est très joyeux, ils sont d'accord pour essayer tout ce que je propose. Je suis également épatée par le niveau de confiance qui m'est accordé et j’espère que j’en prendrai soin jusqu'au bout de du projet parce qu'ils s'exposent sur des problématiques qui les touchent, étant donné qu'on parle beaucoup d’injustice.
KM : Justement, pourquoi mets-tu en avant le thème de l’injustice ?
Notre fil conducteur, c'est un travail autour du monde d'Antigone. Je passe par plusieurs problématiques qui sont nombreuses dans cette histoire et dont l’injustice fait partie. C'est important pour moi, précisément pour une question méthodologique, qu'ils arrivent à transvaser les questions de propos. En fait, lorsqu'on défend une histoire en tant qu'acteur, on doit défendre un propos dans lequel on reconnait quelque chose de soi. En tant qu’acteur, il est important d’apporter une matière qui te touche mais qui n'est pas forcément exposante pour toi. Il ne s'agit pas d’en venir à des choses intimes ou de se dévoiler. Je leur ai même dit qu'ils peuvent raconter des choses qui ne sont pas vraies. Toutefois, il faut qu’ils parlent de quelque chose qui est important pour eux. Je leur ai donc demandé d'apporter un souvenir vrai ou faux autour de cette question d'injustice, soit une situation qu’ils ont vécue soit une situation à laquelle ils ont assistée. Le but est qu'ils fassent le lien entre leur sensibilité et l'endroit du plateau. La chose à montrer aux gens, c'est son cœur, et c'est souvent quelque chose dont on parle peu. Il y a des gens qui y arrivent et des gens qui n’y arrivent pas, mais c'est un peu le nerf de la guerre. Pour des personnes aussi jeunes, ça peut être délicat d’exposer sa sensibilité.
KM : Pourquoi as-tu choisi de parler d’Antigone ?
Je me suis questionnée sur : qu'est-ce que c'est Antigone pour les jeunes générations ? Je trouve qu'on place souvent beaucoup d’attentes sur la jeunesse qui est censée se révolter, nous sauver parce que nous n'avons pas été capables de nous sauver nous-mêmes. Je veux justement éviter l’écueil de leur mettre en bouche une récolte qu'ils n'ont pas forcément. En revanche, ça m'intéresse beaucoup de savoir ce qu'ils en pensent.
KM : Dans le cadre de ta collaboration artistique avec Camille Davin, comment vous êtes-vous réparties le travail ?
On pense les ateliers ensemble. J’ai une ligne directrice à propos de ce que je veux faire et je la partage avec Camille. On essaie donc de mettre en place des exercices, un déroulé pour chaque matinée qui va dans le sens de cette ligne directrice. Cette première semaine, on essaie d'accumuler de la matière pour construire un spectacle final. Ainsi, on réfléchit à comment faire pour obtenir cette matière d’une façon stimulante pour eux. C’est une réflexion assez joyeuse parce qu’on est deux metteuses en scène, deux autrices, et on a des expériences très différentes. On a un théâtre très différent, donc on n'a pas du tout les mêmes outils et ça nous permet de dialoguer. On s’enrichit beaucoup l’une l’autre.
KM : Quelles sont les prochaines étapes du travail ?
La prochaine étape est d’agencer un puzzle stimulant qui nous permettra d’aboutir à un objet artistique fidèle à ce groupe de jeunes artistes et à notre rencontre. Il va falloir tisser un dialogue entre cette figure d'Antigone et ces comédiens.