Coup de feu et début de la 12ème édition d’Adolescence et territoire(s) !
Après un premier atelier qui a permis au groupe de faire connaissance le samedi 16 décembre 2023 au Théâtre de l’Odéon 6e, le travail s’est poursuivi lors d’un stage au T2G Théâtre de Gennevilliers du 03 au 06 janvier 2024. Les 17 adolescents ont pu poursuivre leur travail de création aux côté de Noëmie Ksicova et Cécile Péricone.
Afin de rendre compte de cette semaine écoulée, nous avons demandé à trois participantes de raconter à leur manière ces quatre jours de travail intense.
Lucie, Zohé et Lisa ont souhaité témoigner.
Nous avons également retranscrit l’interview de Noëmie Ksicova réalisée par Ketchup Mayonnaise lors du tournage du premier épisode du web-documentaire.
Lisa Derozin-Portier, 16 ans, Saint-Denis
« "Adolescence et Territoire" marque mes premiers pas au théâtre. Dès l'audition, l'atmosphère immersive m'a captivé, tout le monde semblait si engagé que j'ai ressenti le besoin de montrer ma volonté. Les craintes de ne pas savoir jouer, de manquer de techniques, ont progressivement disparu. Je n'avais pas saisi pleinement l'aspect collectif, mais si j'arrive à autant me motiver, c'est parce que c'est avec ce groupe que je vais m'entraîner.
La semaine de stage a surpassé mes attentes. C'était une expérience magique où chaque coin du plateau dégageait l'art, l'envie et le talent de tous. Les improvisations, surtout en incarnant des personnages âgés, étaient épuisantes, mais le temps s'est envolé sans que je m'en rende compte. Cela a laissé place à un moi que je ne connaissais pas, troublant mais passionnant.
Ce projet me permet non seulement de jouer mais aussi d'explorer mon écriture. Lors d'un exercice, chacun a mis en scène les rêves, regrets ou souvenirs de son personnage imaginé. J'avoue avoir été sceptique quant à l'interprétation de mon histoire, mais voir mes imaginaires prendre vie avec autant d'efforts et de pertinence m'a profondément ravie. C'est mon moment préféré. J'étais tellement émue de voir les autres autant se donner pour quelque chose qui m'importait. Pendant ces deux minutes de jeu, je me suis sentie comme une artiste, entourée d'autres artistes (géniaux).
Je ressens à quel point ce projet résonne en chacun de nous et j'apprécie chaque moment passé à contribuer à son essence. »
Lucie Dupuis, 16 ans, Paris 9e
Raconter des moments qu’on a pas vécus
Se projeter dans un monde qu’on ne comprend pas
Mettre en scène des souvenirs inventés
Parler de corps qu’on ne connaît pas
Crier des mots qu’ils n’entendent pas
Voilà ceux qui me vient quand je pense à cette première semaine à adolescence et territoire. Ces premiers jours ont été mouvementés. Bien qu’ils soient passés très vite, ils ont été incroyables et passionnants. On a appris à se connaître, se rencontrer totalement et à apprendre à travailler ensemble dans l’écoute et dans la bienveillance grâce à Noémie et Cécile qui nous ont appris des milliers de choses en très peu de temps.
Ces quatre journées, je ne les ai pas vu passées et j’ai vraiment hâte d’être en février pour continuer à penser, à découvrir, à rêver et jouer. Sur ce plateau cette semaine, je me suis sentie excessivement libre et sereine, j’ai appris à comprendre mon corps et mes émotions en écoutant ceux des autres. Adolescence et territoire, c’est cette alchimie, c’est cette envie d’être sur une scène toute la journée avec des gens sincères, drôles et gentils et c’est cette envie de voir, d’espérer, de créer ensemble un nouveau monde à travers un projet.
J’aurais dix mille choses à vous dire, à vous décrire, à vous partager, mais les mots me manquent, car les sentiments les emportent sur les phrases.
Zohé Omong, 17 ans, Paris 17e
Entretien avec Noëmie Ksicova réalisé par Ketchup Mayonnaise le 05 janvier 2024
Formée à l’INSAS à Bruxelles, Noëmie Ksicova exerce d’abord comme comédienne, et commence à écrire et à mettre en scène en 2013. Elle fonde en 2014 la compagnie Ex-Oblique, installée en Picardie. Loss, qu’elle écrit et met en scène en 2020, est centré sur la question du deuil. En parallèle, elle crée Saturne avec des comédiens en situation de handicap de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, à Roubaix.
Elle présentera aux Ateliers Berthier en février 2024 sa dernière création l’Enfant Brulé d’après Stig Dagerman.
Dans le cadre du travail réalisé lors de la 12ème édition, Noëmie a décidé d'explorer le thème du souvenir, mettant en lumière ce qui persiste dans le présent d'un élément du passé. Cette exploration se focalise sur deux périodes de vie distinctes : l'adolescence et l'extrême vieillesse.
KM : Pour commencer, pourriez-vous simplement vous présenter et me dire en quelques mots qui vous êtes ?
Je m'appelle Noëmie Ksicova, je suis metteuse en scène et j'écris mes spectacles. Jusqu’à présent je ne suis jamais partie d’une matière théâtrale, soit c’est complètement inventé, soit comme pour mon dernier spectacle je suis partie d’un roman.
KM : Comment vous-êtes-vous retrouvée engagée dans Adolescence et territoire(s) ?
Je ne connaissais pas ce projet. C’est Didier Julliard, le programmateur du Théâtre de l'Odéon, qui m'en a parlé et me l'a proposé. Dans Loss, mon précédent spectacle, il y avait trois adolescent.e.s dont c’était le premier spectacle professionnel. Didier sait que j’apprécie particulièrement de travailler avec des comédien.ne.s que l’on ne qualifie pas de professionnel.le.s, et notamment avec de jeunes personnes.
KM : Pouvez-vous nous raconter comment Cécile et vous avez constitué ce groupe ?
Nous avions deux jours d'auditions pendant lesquels nous avons rencontré quatre groupes de 20 personnes à chaque fois, d’une durée de 3 heures pour chaque session. Nous avons d’abord réalisé des exercices collectifs afin d’évaluer leurs capacités à évoluer en groupe, observer comment iels fonctionnaient ensemble, leur aptitude à accorder leur confiance les uns aux autres, à s'écouter et à interagir collectivement. Ensuite, nous leur avons demandé de présenter un parcours libre qu’iels avaient préparé en amont sur le thème de la vieillesse et du souvenir avec le médium qu’iels souhaitaient.
Enfin, nous avons dû faire des choix, qui se sont avérés difficiles. En effet, dès lors qu’on regarde les personnes pour ce qu'elles sont plutôt que pour leurs compétences techniques ou leur aisance, cela devient complexe, car on rencontre des individus, et donc nos choix se portent davantage sur la personnalité. L'objectif était vraiment de constituer un groupe équilibré en termes d'âge et d'énergie. Nous nous sommes principalement basées sur ces critères pour effectuer notre sélection. Bien sûr, certaines évidences et des désirs d'approfondir avec certaines personnes se sont manifestés, parce que l'on percevait un univers qui se dessinait, et nous avions envie de voir jusqu'où cela pouvait aller.
KM : Aviez-vous initialement pensé à confronter les paroles de personnes âgées en EHPAD avec celles d'adolescents en envisageant de transposer ce sujet dans cet établissement ?
Alors, les EHPAD, pas forcément. C'est-à-dire que, dans un travail comme celui-ci, axé sur la création d’un spectacle, il nous semblait important d'avoir un lieu extrêmement concret pour pouvoir ensuite s'en échapper. J'avais le désir que cet espace soit particulièrement réaliste dans l'imaginaire. Je souhaitais explorer le thème du souvenir, de ce qui subsiste au présent d'un élément du passé. Je trouve pertinent d'utiliser leur jeune âge comme point de départ, mais aussi d'avoir la possibilité de s'en détacher complètement et d'embrasser véritablement l'extrême inverse, à savoir la vieillesse dans un environnement de vie qui s’achève. En tout cas, partir de cela et permettre des flashbacks de cette jeunesse disparue, afin qu'iels puissent travailler sur ces deux extrêmes d'âge, à savoir les adolescents et les personnes âgées.
KM : Malgré la gravité de la thématique choisie, on voit que le travail les amuse beaucoup, et vous aussi.
Je ne pense pas qu'une vie en EHPAD soit épanouissante, mais je ne crois pas non plus que ce soit un espace où il n'y a plus de vie. Nous essayons vraiment de travailler sur les petits signes de vie qui persistent dans un lieu où l'on pourrait penser que tout touche à sa fin. J'ai passé du temps en EHPAD l'année dernière pour un autre projet à la Comédie de Reims. C’est là que le déclic s'est produit. J'ai découvert à quel point cet espace habité par des personnes très âgées me rappelait une colonie de vacances pleine d'enfants. Il y avait une sorte de retour à l'enfance et des réflexes presque enfantins chez ces individus qui m'ont réellement fascinée et profondément émue.
J'avais déjà le projet "Adolescence et Territoire(s)" en gestation, et j'ai choisi d'en faire le point de départ du spectacle à venir. C'est là que m'est venue l'idée de l'EHPAD, qui n’occupera pas tout le spectacle, mais une grande partie. Ensuite, nous allons le faire évoluer pour en faire quelque chose d'autre, bien que le point de départ soit vraiment cet endroit précis et ces personnes en fin de vie qui portent malgré tout cette vie en elles. C'est ce que nous essayons de transmettre avec des incursions dans les souvenirs et dans le présent.
KM : Les jeunes vous ont déjà fait des propositions, comment allez-vous vous en servir pour commencer à écrire une première trame ?
Iels ont écrit beaucoup de choses ! Iels se sont vraiment investis dans cet exercice qui n'est pas facile. Je ne pense pas que dire à des jeunes de 15 ans : "Maintenant, imaginez-vous à 80 ans", soit un exercice facile. On peut très rapidement tomber dans le cliché, dans une sorte d'image figée de ce qu'est une dame ou un monsieur âgé. Je trouve qu'iels abordent cela avec beaucoup de délicatesse et de finesse. Déjà dans leur rapport au corps, se transposer dans celui d'un vieillard ou d'une vieille dame, c'est quelque chose que je trouve assez passionnant ainsi que dans les textes qu'iels nous ont livrés. Évidemment, c'est une base commune, nous mettons nos imaginaires en commun, et iels ouvrent des portes et des directions dans lesquelles je ne serais pas allée si iels ne m'y avaient pas emmenée.
Tous les imaginaires de ces 17 adolescent.e.s nous permettent d'explorer des directions que nous n'aurions vraiment pas creusées sans eux. En terme d'écriture, je pense qu'il restera des choses qu'iels ont écrites et des personnages qu'iels ont dessinés. Iels ont créé des personnages qui, chaque jour, deviennent de plus en plus précis, qui commencent à avoir une enveloppe et une histoire, portées dans leurs corps et dans leurs improvisations. Évidemment, c'est un tableau magnifique.
Mon travail d'écriture cherche à comprendre comment faire tenir cela, comment orchestrer tout cela pour le faire tenir dans une fiction, pour nous amener vers cette vieillesse empêchée dont ils sont nombreux à nous avoir parlé. Dans les textes qu'iels ont écrits, beaucoup d'entre eux ne peuvent pas s’imaginer vieux. Et je trouve qu'aujourd'hui, en créant un spectacle avec ces jeunes, il m'est impossible de faire abstraction de ces questions qui les habitent. Nous sommes quand même dans une époque qui bascule, et iels se retrouvent face à des problématiques que je trouve très vertigineuses et angoissantes, qui tournent énormément autour de la question de savoir quelle sera la suite de leur vie d'un point de vue personnel, sociétal et climatique, des questionnements fondamentaux quand on est à ce moment de bascule vers l’âge adulte.
Je trouve très intéressant de creuser ces aspects avec eux, de les questionner plutôt que de les affirmer. En tout cas, le spectacle tel que je l'imagine n'est pas là pour affirmer, mais pour poser ces questions-là.
KM : Que retenez-vous de cette première semaine de travail avec eux ?
Leur beauté transparaît vraiment dans leur engagement et dans leur façon d'être les uns avec les autres. Leur bienveillance et leur capacité à s'écouter mutuellement sont remarquables. Iels se lancent avec une spontanéité et en même temps une rigueur qui m'impressionne beaucoup. Chacun d'entre eux possède une acuité exceptionnelle par rapport aux thématiques que nous explorons ensemble, et ils affirment chacun.e.s leurs singularités. Je les trouve très courageux, car ils ne cherchent absolument pas à se ressembler les uns les autres. Ils se montrent véritablement, se donnent à voir, et inventent leurs personnages à partir de leurs singularités. Je trouve que cette acuité, pour des acteurices aussi jeunes, est extrêmement puissante et assez bouleversante à observer.