À rebours, de Joris-Karl Huysmans, avec Maylis de Kerangal
Il vivait sur lui-même, se nourrissait de sa propre substance, pareil à ces bêtes engourdies, tapies dans un trou, pendant l’hiver ; la solitude avait agi sur son cerveau, de même qu’un narcotique. Après l’avoir tout d’abord énervé et tendu, elle amenait une torpeur hantée de songeries vagues ; elle annihilait ses desseins, brisait ses volontés, guidait un défilé de rêves qu’il subissait, passivement, sans même essayer de s’y soustraire.
Le tas confus des lectures, des méditations artistiques, qu’il avait accumulées depuis son isolement, ainsi qu’un barrage pour arrêter le courant des anciens souvenirs, avait été brusquement emporté, et le flot s’ébranlait, culbutant le présent, l’avenir, noyant tout sous la nappe du passé, emplissant son esprit d’une immense étendue de tristesse sur laquelle nageaient, semblables à de ridicules épaves, des épisodes sans intérêt de son existence, des riens absurdes.
À rebours, extrait
Rencontre animée par Daniel Loayza
Née en 1967, Maylis de Kerangal est romancière.
Corniche Kennedy, Naissance d’un pont – Prix Médicis et prix Franz Hessel 2010, Tangente vers l’est – Prix Landerneau 2012, Réparer les vivants – Grand prix RTL/Lire 2014 et prix du Roman des étudiants France Culture/Télérama 2014