Die Möwe
[La Mouette]
d'Anton Tchekhov
mise en scène Luc Bondy
du 22 février 2002 au 26 février 2002
Théâtre de l'Odéon
avec Eva Magdalena Baich, Philipp Brammer, Benjamin Cabuk, August Diehl, Urs Hefti, Maria Hengge, Gertraud Jesserer, Ignaz Kirchner, Hans Kloser, Jutta Lampe, Martin Schwab, Gert Voss, Johanna Wokalek
Toucher les âmes de ses mains - Luc Bondy
"Pourquoi portez-vous toujours le noir?" demande à Macha l 'instituteur Medvedenko. "Je suis en deuil de ma vie. Je suis malheureuse", lui répond-elle. Ainsi commence La Mouette, qui s'achève par cette confidence à mi-voix : "Constantin Gavrilovitch s'est tué". A quoi Tchekhov songeait-il en qualifiant sa pièce de "comédie"? D'un bout à l'autre, il est question d'amour - toujours à sens unique, toujours source de malentendus, terreau fertile de l'expression du désespoir : Semion aime Macha, qui aime Constantin, qui aime Nina, qui aime Trigorine, qui n'aime que lui-même - et encore. D'un bout à l'autre, il est question d'art, de la possibilité qu'adviennent plus de sens et plus de beauté - mais les âmes les mieux douées pour en éprouver le besoin tâtonnent en vain à la recherche des moyens d'y contribuer, et Nina "la mouette" se brûlera les ailes au feu de sa vocation, tandis que les "artistes" les plus admirés ne croient plus à leur propre grâce ou ne s'aperçoivent plus de la profondeur de leur égoïsme. La scène est dans un domaine idyllique, au bord d'un lac, mais rarement la proximité de la nature aura rendu aussi sensible combien le paradis ne peut être que perdu. "Dans nos oeuvres", écrivait Tchekhov, "il manque l'alcool qui enivre et subjugue. Nous décrivons la vie comme elle est, et à part ça rien du tout". Cette vie qui se passe de commentaires, errant en quête de son intensité, n'a rien de dramatique. Les événements y sont impondérables et minuscules; les catastrophes même s'y font discrètes. Ce théâtre du frôlement, de la subtile demi-teinte où la pudeur et l'ironie habitent les mêmes silences, convient parfaitement à Luc Bondy, qui se plaît à travailler, comme l'écrivait Schnitzler, "dans la pénombre des âmes". Dans un décor de Gilles Aillaud, son sens du romanesque et de la frivolité déchirante ponctue à la pointe sèche l'écriture tchekhovienne avec la complicité d'une distribution d'exception réunissant certains des plus grands interprètes de scènes d'Autriche et d'Allemagne.
A lire...
Luc Bondy : La fête de l'instant. Dialogues avec Georges Banu.
Actes/Académie Expérimentales des Théâtres, 1996.
Anton Tchekhov : La Mouette, Actes Sud, collection babel, 1996
(traduction d'André Markowicz et Françoise Morvan).