Né à Dulwich en Angleterre en 1946, Howard Barker, dramaturge, poète, peintre, théoricien du drame et metteur en scène, est l'auteur d'une cinquantaine de pièces. Il écrit pour la scène (théâtre, opéra, marionnettes) mais aussi pour la télévision, la radio et le cinéma. Il est également le metteur en scène de ses propres pièces au sein de la compagnie qu'il a créée : la Wrestling School. Il fut un temps associé au théâtre politique du Royal Court de Londres, comme Edward Bond et David Edgar.
Tantôt fables, tantôt épopées, ou dramaturgies séquentielles, les pièces de Barker fouillent l'âme humaine dans ce qu'elle a de terrifiant et de magnifique, ballottée entre rationnel et irrationnel, raison et pulsions. Howard Barker est l'une des voix les plus originales du théâtre britannique actuel et renouvelle radicalement la dramaturgie contemporaine.
Étonnant, détonnant, déroutant : Howard Barker, l'«aboyeur» du théâtre anglais (Mike Sens) ne se laisse guère raconter, et c'est tant mieux. Sa liberté créative n'a d'égale que celle qu'il prétend laisser ou restituer à ses spectateurs, car il vise à «s'adresser à l'âme là où elle entend sa propre différence». Il n'est pas de ceux qui se plaisent à exposer d'avance, en d'autres termes que ceux de leur oeuvre elle-même, leur intention artistique. Pour Barker, le théâtre ne doit pas être traduit en un autre idiome, critique ou descriptif : il doit avant tout accomplir sa tâche propre. Et cette tâche - ici commencent les difficultés - ne consiste surtout pas à répéter ou corriger ce qu'est le monde. Mais pas davantage à nous en distraire ou à nous réconcilier avec lui. Ni message, ni compensation, ni consolation ; ni didactisme, ni divertissement. L'effet de l'art est d'un autre ordre. L'art selon Barker est un irritant, qui ne se laisse pas digérer ; comparable en cela, ajoute-t-il, au grain de sable qui tourmente l'huître. Libre de toute censure, il s'ouvre à «la pensée qui n'est pas autorisée» et à «l'inconscient qui a été aboli». Loin de résoudre des problèmes, il en réveille que l'on croyait à tort réglés, il en suscite que l'on n'aurait pas soupçonnés. Et il le fait dans sa propre langue - langue qui est, dans le cas de Barker, drue et urgente, somptueusement imprévisible, d'une vivacité colorée et amère qui en font un des grands poètes de l'anglais contemporain.
Donner à penser, donner à voir, sont ici inséparables. Sous l'effet de ce théâtre convulsif, la frontière entre la réflexion et l'imagination se brouille. La logique du réel et celle des rêves se superposent ou interfèrent, le temps se précipite ou se suspend, les époques se télescopent, l'éthique et l'esthétique s'échangent comme des déguisements. Toutes les énergies qui se libèrent au plateau paraissent prendre forme concrète et mêler librement leurs flux. L'oeuvre de Barker, forte de près d'une soixantaine de titres, est d'une inventivité foisonnante : elle s'étend de la Vienne impériale libérée en 1683 du siège ottoman (Les Européens) à une revisitation d'Oncle Vania où Tchekhov devient à son tour un personnage parmi les autres, d'une réinvention sauvagement énigmatique à partir de figures empruntées à des contes de fées (Le Cas Blanche-Neige) ou à des classiques shakespeariens tels que Lear ou Hamlet (Gertrude - Le Cri) jusqu'au récit de la naissance d'un tableau monumental commandé par la République de Venise vers 1571, au lendemain de la bataille de Lépante (Tableau d'une exécution). Des rafales d'ironie ou de lyrisme traversent les dialogues sans crier gare, le cru et le cruel criblent une scène où rien n'est jamais sûr ni personne à l'abri.
Théâtre de la Catastrophe, dit Barker ; théâtre expérimental au double sens du terme. Théâtre qui met d'abord en oeuvre, à même le corps des acteurs, des processus qui sont autant de questions adressées au réel, au risque de subvertir nos certitudes trop confortables et de nous infliger «ces dégâts subtils causés à une vie bien construite». Et théâtre qui réclame aussi de son public qu'il s'expose soi-même, comme sujet, aux effets d'une expérience aiguë, parfois douloureuse ou difficile (mais quelle expérience digne de ce nom ne l'est pas ?), dont les acteurs sont à leur tour les laborantins : celle de la poésie. Car «c'est seulement au moyen de la poésie que l'on peut rendre la mélancolie supportable, et seul l'acteur poétique peut accompagner le spectateur dans sa douleur. Cette douleur est une nécessité. Le Théâtre de la Catastrophe n'est pas le réconfort d'un monde cruel, mais la cruauté du monde rendue manifeste pour appararaître comme - beauté.»
Représentations à l'Odéon :
- Hated Nightfall, mise en scène Howard Barker saison, 1994-95
- The Castle, mise en scène Kenny Ireland, saison 1994-1995
- Judith ou le corps séparé, mise en scène Claudine Hunault au Petit-Odéon, saison 1994-95
- Gertrude - Le Cri, mise en scène Giorgio Barberio Corsetti, saison 2008-09
- Le Cas Blanche-Neige, mise en scène Frédéric Maragnani aux Ateliers Berthier, saison 2008-09
- Les Européens, mise en scène Christian Esnay aux Ateliers Berthier, saison 2008-09
- Tableau d'une exécution, mise en scène Christian Esnay aux Ateliers Berthier, saison 2008-09