(1777-1811)
Issu d'une famille de militaires, Heinrich von Kleist fait ses études au collège français de Berlin et à Francfort-sur-l'Oder avant d'entrer dans l'armée prussienne, au sein de laquelle il participe au Siège de Mayence (1793). Il quitte l'armée en 1799. Il confie à sa demi-soeur et confidente Ulrike son intention de dresser "un plan de vie" auquel il entend plier sa vie privée, sociale et intellectuelle, et sans lequel "il est inconcevable qu'un homme puisse vivre".
Il voyage dans divers pays d'Europe. À son retour à Berlin, la lecture de Kant provoque chez Kleist une crise profonde : "nous ne pouvons décider si ce que nous nommons vérité est vraiment la vérité ou si elle nous paraît seulement telle. Dans ce dernier cas, la vérité que nous amassons ici n'existe plus après la mort."(lettre à sa fiancée Wilhelmine, 22 mars 1801). Kleist adhère avec enthousiasme aux idées de Rousseau. Il rompt ses fiançailles, écrit que les femmes ne comprennent pas le mot "ambition" et qu'il souhaite "mourir bientôt". Il écrit son Amphitryon, commencé comme une traduction de Molière, qui devient bientôt une oeuvre originale. Kleist obtient un poste dans l'administration. Il achève sa comédie La Cruche cassée.
L'armée prussienne est écrasée à Iena (14 octobre 1806). Kleist, ébranlé, rédige la nouvelle Le Tremblement de terre au Chili. Il écrit à Ulrike : "mon système nerveux est détruit". Soupçonné d'espionnage, il est incarcéré par les Français en 1807 pendant quelques mois au Fort de Joux.
Il crée en 1808 la revue littéraire Phœbus, demande la collaboration de Goethe, qui refuse et critique avec sévérité le large fragment de la pièce Penthésilée, contribution de Kleist au premier numéro. La revue, jugée excessivement polémique, cruelle et brutale, est ruinée en un an.
Kleist achève la même année La petite Catherine de Heilbronn ("celui qui aime La petite Catherine ne peut passer complètement à côté de Penthésilée, elles forment ensemble le + et le - de l'algèbre").
Puis il rédige La bataille d'Arminius et se plonge dans l'activité politique, jusqu'à la défaite de l'Autriche à Wagram (juillet 1809) où sont anéantis ses espoirs de sursaut national et d'une coalition contre Napoléon. Sa dépression est telle que le bruit de sa mort se répand.
Il lance en 1810 un quotidien politico-littéraire, les Berliner Abendblätter. Il y publie des nouvelles et laisse libre court à sa violence patriotique. Ses difficultés avec la censure royale accroissent sa détresse matérielle et morale.
Après l'échec de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg, qui semble aujourd'hui étrangement classique et sereine, il se suicide le 21 novembre 1811 au bord du lac de Wannsee, près de Potsdam, avec son amie Henriette Vogel.
Ses œuvres complètes sont publiées en trois tomes en 1826.
Kleist est l'un des rares romantiques qui aient mis pleinement leur pensée en action. La recherche de l'absolu a été sa seule quête dans sa vie publique, littéraire et privée.
Sa vie chaotique, faite de passion et de déception aussitôt surmontée ("Tôt ou tard, il faudra que je reparte, tel est mon destin"), d'une densité extrême, est tragique comme la plupart de ses textes, dont il ne faut cependant pas nier la dimension d'humour. Dans la lignée de Shakespeare, il sait à merveille faire entrer dans des canevas classiques la barbarie et le démesuré, le duel éternel du réel et de la subjectivité, l'impossible tentative de dépassement.
Chez lui, le rêve n'est jamais un refuge : bien plutôt un ferment de réconciliation avec le réel. L'être doit s'atteindre sans le secours de la raison, qui mène à une impasse, ni de la volonté, souvent stérile.
Principales oeuvres :
* La Famille Schroffenstein, 1803,
* Robert Guiscard, 1803 (manuscrit brûlé par l'auteur, dont il ne reste que le premier acte),
* La Cruche cassée, 1806,
* Amphitryon, 1807
* Penthésilée, 1805-1807,
* La petite Catherine de Heilbronn, 1808,
* La Marquise d'O..., 1808 (adapté au cinéma par Éric Rohmer en 1976)
* La Bataille d'Arminius, 1808,
* Michael Kohlhaas, 1810
* Le Prince de Hombourg, 1811.
à l'Odéon, on a pu voir :
La Bataille d'Arminius mise en scène Claus Peymann (saison 1983-84)
Le Prince de Hombourg mises en scène : Peter Stein (saison 1972-73), Patrick Guinand (1981-82), Manfred Karge et Mathias Langhoff (1983-84)
Amphitryon mise en scène Klaus Michael Grüber (saison 1991-92)
Penthésilée mise en scène Julie Brochen (saison 1997-98)
La petite Catherine de Heilbronn mise en scène André Engel (saison 2007-08)